L’agroécologie est considérée comme une meilleure approche d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. En Afrique, de plus en plus, des voix la présentent comme l’alternative du continent face à l’urgence climatique, revendiquent sa mise à l’échelle, son inscription au centre de l’action climat, à l’agenda de la COP. Elles viennent du public, du privé, des praticiens, des chercheurs, de la société civile. Regards croisés sur un modèle intégré de production et de gestion durables des écosystèmes.
Plus d’une dizaine de variétés de cultures sur une exploitation de deux hectares. Des tiges de maïs récoltés et des pieds de moringa sur une même portion de terre. Moringa et curcuma, une plante épicière et médicinale qui « soigne le diabète, la tension artérielle, nettoie l’appareil gastrique », occupent une mince parcelle. Là, manioc et moringa se partagent le même lopin de terre. D’un côté, des troncs de moringa sectionnés jonchent au milieu d’un champ touffus de citronnelles et une portion d’artemisia, en monoculture. De l’autre côté, des plants de maïs au stade d’épiaison, et des jeunes moringa « se regardent ». Entre les cultures, une diversité de hautes herbes envahit des portions non exploitées. Çà et là, des pieds adultes de karité, de jujubes, néré, manguiers…. Bref, la diversité et l’association des cultures, la densité du couvert végétal tranchent avec les champs environnants, dominés par des monocultures de mil, sorgho, maïs. Nous sommes à la « Ferme Pédagogique de Boussouma », créée par Philibert Belem, dans la commune rurale de Koubri, à une quarantaine de kilomètres de Ouagadougou. Depuis 2011, il y pratique l’agroécologie où il produit des cultures à haute valeur nutritives et médicinales.
En saison sèche, M. Belem produit des tomates, choux, oignons, grâce à un système d’irrigation alimenté par de l’énergie solaire. Pour entretenir ses cultures, il se contente d’engrais organiques achetés ou produits sur place. « Les herbes me serviront à produire de la fumure organique », fait-il savoir.
Les produits bio de son exploitation sont vendus frais, séchés ou après transformation, le marché, surtout local. « Je transforme le moringa en poudre, la verveine sous forme d’infusion ; elle lutte contre le stress et la fatigue », relate-t-il. La production du maïs est réservée à la consommation familiale, ajoute-t-il.
M. Belem s’essaye aussi à l’élevage de la volaille, notamment des dindons. Sa ferme est source de revenus pour des femmes de Boussouma, qui y exercent des emplois saisonniers, et accueille aussi des enfants déscolarisés et des stagiaires pour des formations pratiques en agroécologie. « Si nous voulons parvenir à une meilleure vulgarisation de l’agroécologie, nous devons l’inscrire dans les curricula d’enseignement », se convainc-t-il.
De l’hôpital à l’agroécologie
Sa rencontre avec cette agriculture durable commence à l’hôpital, alors qu’il était membre d’une association d’aide aux enfants hospitalisés. « J’ai remarqué que les enfants venant des zones cotonnières, où les produits chimiques sont beaucoup utilisés dans l’agriculture ont des cancers. Cela m’a beaucoup touché. J’ai alors décidé de me lancer dans la production bio à travers l’agroécologie », explique-t-il. Promouvoir l’agroécologie, faire connaitre ses vertus, sur le plan environnemental, sanitaire, alimentaire et nutritionnel devient son nouveau crédo.
Tout comme M. Belem, Claude Arsène Sawadogo pratique l’agroécologie depuis une dizaine d’années. Son entreprise, Bioprotect, est spécialisée dans la production et la commercialisation des produits agricoles bio (bissap, sésame, soja, tomates, oignons, choux, pompes de terre, patates douces, etc.), des engrais organiques et la transformation des purées de tomates, des confitures de fraises, de mangues, conserves de haricots verts, etc. Bioprotect emploie une vingtaine de salariés permanents et 15 à 30 travailleurs saisonniers. « Je suis arrivé à l’agroécologie par l’influence familiale. Mes parents sont dans l’agroécologie depuis les années 90. J’ai grandi dans cet environnement agroécologique. A l’universitaire, mes travaux portaient sur l’analyse comparée de l’utilisation des engrais chimiques et organiques », explique le jeune agroéconomiste.
Aujourd’hui, face à l’urgence climatique et aux défis alimentaires, l’agroécologie semble devenir un impératif. Dr Babou André Bationo est directeur de recherche en biologie et écologie forestières et chef du programme agroforesterie et amélioration des plantes ligneuses à l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA) du Centre national de recherche scientifique et technologique (CNRST). Depuis 1995, il consacre ses recherches aux pratiques agroécologiques au Burkina Faso. « Face au changement climatique, l’agroécologie est la réponse. Car, cette approche de production intégrée repose sur des solutions naturelles, engendre des comportements qui préservent les écosystèmes et permettent de bénéficier des services de ces écosystèmes pour produire durable. Elle est à la portée de tous, riches ou pauvres », soutient-il.
« Il n’y a plus d’autres alternatives… »
Le directeur exécutif de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives de développement (IRPAD), basé à Bamako au Mali, travaillant sur l’Afrique de l’Ouest et central, Mamadou Goïta, partage les mêmes convictions. « Au regard du changement climatique et de ses effets sur la vie des populations, il n’y a plus d’autres alternatives que de miser sur l’agroécologie qui dispose des techniques et approches de productions durables, et prend en charge les autres dimensions des systèmes alimentaires, déstabilisés aujourd’hui par la production industrielle, l’un des grands pollueurs de l’environnement, qui a causé tous les dangers climatiques que connait l’humanité », martèle-t-il.
Ce modèle de production intégré est davantage une urgence pour un pays sahélien comme le Burkina Faso, qui perd chaque année environ 100 mille hectares de terres cultivables, connait souvent des poches de sècheresse, souligne Claude Arsène Sawadogo. « L’agroécologie, à travers l’utilisation des engrais organiques, permet de contenir ces poches de sécheresse. La matière organique, un hydro détenteur, aide à contenir le stress hydrique. Même s’il y a deux semaines de sécheresse, les plantes vont souffrir moins », argumente-t-il.
Dans la même veine, le responsable de l’ONG TERRE VERTE, Henri Girard, soutient que dans un environnement fragile comme le Sahel, avec des terres pauvres et des pluies rares et intenses, l’agriculture doit être gérée de manière durable, à travers des sols bien soignés. « Ce milieu fragile a besoin d’être pris en charge de manière très jardinière, en gardant l’eau, les arbres, en nourrissant la terre avec des déchets organiques ». C’est dans cette dynamique que depuis 1990, M. Girard et des paysans de Guiè, dans le Plateau-central, ont mis en place le concept de bocage sahélien. Il consiste en un aménagement d’un cadre général écologique avec pour vocation d’établir un meilleur compromis entre l’agriculture, la foresterie et l’élevage, de restaurer les sols dégradés et d’assurer la durabilité de cette restauration.
Priorité nationale
Basé sur le principe du « Zéro ruissellement d’eau », l’aménagement bocager est fait de sorte qu’aucune goutte d’eau de pluie qui tombe dans le champ n’en sort plus, sauf par infiltration vers la nappe phréatique ou par évapotranspiration.
Le gouvernement burkinabè, convaincu que l’agroécologie renforce la résilience des agrosystèmes, semble avoir perçu l’enjeu lié à cette agriculture intelligente et durable. « Pour nous, l’agroécologie est essentielle, car elle permet de préserver la fertilité des sols. C’est pourquoi, le ministère a entrepris d’élaborer une stratégie nationale de développement de l’agroécologie (2023-2027), assorti d’un plan d’actions d’un coût provisoire d’environ 20 milliards F CFA », soutient le correspondant national agroécologie au ministère de l’Agriculture, des Ressources Animales et Halieutiques, Adama Sawadogo. Ledit document stratégique attend d’être adopté en conseil de ministres à la suite de l’atelier national de validation.
La stratégie ambitionne de relever quatre défis majeurs : « intégrer systématiquement l’agroécologie dans les politiques et stratégies agricoles », « faire de l’agroécologie une priorité nationale pour la réalisation d’une sécurité alimentaire et nutritionnelle durable », « appliquer à grande échelle les pratiques agroécologiques sur l’ensemble du territoire national », « instaurer une bonne gouvernance de l’agroécologie ».
Malgré sa pertinence, certains s’interrogent sur la capacité de l’agroécologie à répondre aux urgences alimentaires de l’Afrique, voire du monde. « Il faut sortir de l’idée que le bio ne peut pas nourrir le monde, c’est archi-faux. Même là où les rendements seraient faibles, il faut y voir plutôt la durabilité. Mieux vaut des sols que l’on exploite pendant des décennies que des terres à fort rendements sur trois, quatre années. Si on investit dans l’agroécologie comme on l’a fait dans l’agriculture industrielle, il y aura des résultats tangibles sur le terrain », rétorque Henri Girard.
Bien au contraire, si depuis plus de 60 ans d’indépendance, l’Afrique court toujours derrière l’auto-suffisance alimentaire, elle doit plutôt s’interroger sur l’efficacité de son modèle agricole basé sur les engrais chimiques sur fond de subventions qu’elle a jusque-là implémenté, fait remarquer Claude Arsène Sawadogo.
Subventionner les engrais organiques
Pour M. Girard, l’agroécologie renferme un énorme potentiel non encore exploré. Le reste est une question d’orientation politique, devant tracer les lignes directrices et créer les mesures d’accompagnement nécessaires, insiste-t-il. L’Etat peut jouer sa partition en renforçant les capacités des acteurs, en facilitant l’accès des producteurs aux engrais organiques à travers les subventions comme il fait pour les engrais chimiques, en mettant en place une fiscalité verte incitative pour l’entrepreneuriat agroécologique, suggère le patron de Bioprotect.
Éviter le saupoudrage
Pour le chercheur en alternatives de développement, Pr Mamadou Goïta, si les parties à la conférence sur le climat ont toujours voulu exclure l’agriculture des débats, en la considérant comme le secteur le plus polluant, c’est parce qu’elles se réfèrent à l’agriculture industrielle occidentale et aux dégâts qu’elle cause à la nature, à l’environnement à travers la déforestation systématique des forêts et la déstabilisation de la couche d’ozone. « En réalité, les gens n’ont pas compris que l’agroécologie que nous proposons est l’inverse de ce modèle polluant. Le modèle agroécologique crée les conditions idéales pour réparer la nature mais aussi pour arrêter ce carnage génétique qu’engendre l’agriculture industrielle », étaye-t-il.
Quand on fait du compostage, de l’agroforesterie, du mulch, on séquestre le carbone, contribuant ainsi à réduire le réchauffement climatique, argumente Claude Arsène Sawadogo. Sans oublier que les marchés territoriaux agroécologiques participent à cette séquestration, en faisant moins voyager les produits agricoles. « Ce sera un leurre si parmi toutes les solutions proposées à l’Afrique pour s’adapter au changement climatique, l’agroécologie n’y figure pas », martèle-t-il.
Mais quid de l’absence d’évidences scientifiques pour étayer la pertinence des approches agroécologies ? Là aussi, l’argumentaire semble manquer de consistance ! Les scientifiques sont les premiers à ramer à contre-courant. « Il y a suffisamment d’évidence scientifiques sur l’agroécologie. A l’INERA par exemple, depuis des années, des chercheurs ont mis en évidence toute la gamme de production de la fumure organique, toutes les techniques de constructions des diguettes antiérosives, les potentialités de la biomasse, la jachère améliorée, l’amélioration de la productivité agricole », soutient le chercheur en agroforesterie depuis trois décennies, Dr Bationo ; même s’il reconnait qu’il est des champs non encore explorés par la recherche.
Henri Girard réfute lui aussi l’argumentaire tendant à vider l’agroécologie de tout fondement scientifique, car, de par le monde, de nombreux centres de recherche ont suffisamment travaillé sur le sujet. « Cet argumentaire est lié plutôt à la guerre entre le chimique et le bio. Ceux qui sont dans l’industrie des engrais chimiques ont aussi des scientifiques qui travaillent pour eux. Il y a donc des intérêts à préserver, des ressources à capter. Le bio vise une autonomie des producteurs, avec des marchés aux circuits courts. Cette bataille fait qu’il y a souvent des arguments tirés par les cheveux. Mais il faut tenir bon », se convainc M. Girard.
Pour Pr Goïta, l’agroécologie va au-delà de l’Afrique. Elle est aujourd’hui la solution pour le monde entier. Si des organismes internationaux comme la FAO s’intéresse à la problématique, cela est la preuve que sa pertinence n’est pas sujette à caution, précise-t-il. Au regard de ces évidences, l’option de l’agroécologie comme alternative africaine face à l’urgence climatique s’impose. Car, les pratiques agroécologiques vont de pair avec la lutte contre le changement climatique, précise le correspondant national agroécologie.
Et si l’Etat et ses partenaires sont appelés à un financement urgent et conséquent de l’agroécologie, il ne faudrait cependant pas y voir seulement une niche commerciale, mais plutôt comme une solution globale de restauration des sols, des écosystèmes, bref une alternative pour l’avenir et la durabilité de l’agriculture, alerte Henri Girard. Mieux, poursuit-il, il faudrait éviter le saupoudrage et imaginer des mécanismes de financements pérennes qui produisent des résultats tangibles et durables sur le terrain. En tout état de cause, la marche vers la mise à l’échelle de l’agroécologie s’impose. « En assurant la durabilité de l’agriculture, l’agroécologie permet de réaliser la sécurité alimentaire. A travers elle, nous aurons des aliments sains, pour la santé humaine, animale mais aussi de l’environnement, la sauvegarde de la biodiversité. Ce que les gens ignorent est que notre santé dépend de la santé des sols », conclut Adama Sawadogo.
Mahamadi SEBOGO
Encadré : COP27 : La position de la commune de la société civile africaine
Sous l’égide de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), un mouvement représentant 200 millions de petits agriculteurs, de pêcheurs, de pasteurs, de groupes religieux et de peuples autochtones, la société civile africaine s’est réunie à Addis Abeba, du 19 au 21 septembre 2022, pour dialoguer sur la feuille de route de l’Afrique pour l’adaptation au changement climatique par l’agroécologie. A l’issue de trois jours de travaux, les participants, venus de 32 pays du continent, ont dégagé une position commune, en appelant la COP27 à :
- Donner la priorité à l’agroécologie pour transformer le système agroalimentaire, renforcer la résilience et permettre aux petits agriculteurs, aux pasteurs et aux pêcheurs de s’adapter au changement climatique ; inclure l’agroécologie dans les négociations climatiques de la CCNUCC ;
- Engager de manière significative les petits producteurs alimentaires et les communautés autochtones, y compris les femmes et les jeunes, dans les négociations de la COP27 et au-delà ; rejeter les fausses solutions qui menacent les terres et les semences et accroissent la dépendance à l’égard des entreprises agrochimiques mondiales ;
- Orienter le financement climatique vers l’agroécologie.
M.S
Source : Déclaration de la Conférence d’Addis Abeba